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Après Goya présenté à Saint-Dié en 2012, Christophe Greilsammer s’attaque à nouveau à l’écriture provocante de Rodrigo Garcia. « On reprend les mêmes et on recommence » : L’Astrolabe s’empare de la scène du Taps, à Strasbourg, pour une version de Je crois que vous m’avez mal compris qui colle à l’esprit insoumis de l’auteur. ​

 

En réponse à la confidence de Garcia qui lui révèle par mail « apprécier qu’on mette en danger ses textes», Christophe Greilsammer choisit une mise en scène interactive mêlant la vidéo à la musique live et invitant le spectateur à interagir par SMS. Pari osé mais assumé : quand on lui demande s’il ne craint pas de laisser son acteur seul avec son monologue face à un public distrait, il répond que le risque est évident : « si j’étais dans la salle, je ne toucherais pas à mon téléphone ».

Avec ou sans portable, on entre donc dans la salle. Perchés en haut d’un échafaudage accessible par une échelle placée côté cour, des adolescents balancent du son aux platines. Volontairement intégrés au projet, ils ont été formés par dj T-Killa, fidèle musicien du metteur en scène qui, lui, tient la régie à vue et assure le filtrage des SMS diffusés sur l’écran en fond de scène. Assis dans un canapé ordinaire, un homme fixe ce dernier, se retournant parfois vers les gradins où s’installent encore le public. « Ça commence » ?

 

 

Equivoques esthétiques et textuelles

 

Au sol, un tapis « cartographique » d’un quartier de ville: le même qu’on avait pour jouer aux voitures quand on était petit. Sa présence dans un supposé salon laisse perplexe. Serait-ce un rappel à l’enfance, qui sera inconsciemment piétinée tout le long du monologue par le père, s’apprêtant à faire de même avec celle de son fils ? Ou plutôt une évocation - à travers les routes tracées de façon symétrique - de la routine et de l’organisation parfaitement rangée de l’état civil ? Comme pour nous rassurer devant ce dispositif déstabilisant, on veille à nous préciser la courte durée du spectacle. Et le numéro défilant en continu rappelle qu’il est exceptionnellement autorisé de garder son téléphone allumé pour interagir en direct. Certains ne perdent pas de temps, les premiers envois se bousculent.

D’un coup, l’homme se lève et abat le mur placé sous la platine, à l’aide d’un marteau. Manière brutale de couper le son pour libérer sa parole. Une parole qu’il ne lâchera presque plus, submergeant son fils de propos chocs, parfois exagérés : « Tu n’iras pas à l’école demain matin. Tu vas travailler… ».

Xavier Brossard, dans son costume gris, mal rasé, est parfaitement crédible. Dans ses gestes impulsifs autant que dans sa parole déferlante - manquant parfois de souffle - on sent la frustration d’une vie manquée ou la soif de vengeance face au vol de l’innocence enfantine commis par une société trop consumériste et précaire. L’homme semble impatient de se libérer pour profiter pleinement de son temps mais bien conscient des responsabilités qui le confinent dans un quotidien sinistre et civiquement ordonné. Maladroitement, il cherche à éviter la récidive d’une telle existence pour son fils.

Ce dernier, en jean-baskets portant autour du cou l’indispensable (pour tout ado respecté) casque de musique, écoute sans broncher, le dos vouté. Position qui reflète parfaitement la mollesse du corps pré-pubère, comparable à un Pinocchio qu’il faut manipuler avant qu’il ne se transforme en homme. « Je veux que ta vie soit une affaire conclue avant que tu aies quinze ans. Car à quinze ans tu auras de l’énergie à revendre – mais pas assez de cervelle – pour en profiter. Et il est injuste qu’une fois physiquement apte à profiter de la vie, à prendre ton pied, […] il est injuste qu’il faille bosser comme un malade pour jouir de quelques heures par semaine ».

Tous les jeunes acteurs – ou plutôt figurants d’un jour – provoquent le même effet : celui d’une absence totale de préparation au jeu. La dispute pour la Bible – seul livre qui mérite d’être sauvé selon le narrateur - est une preuve flagrante que les enfants peinent généralement à faire semblant. Leur nez s’allonge quand ils mentent. Et sur scène, les deux garçons semblent d’avantage se faire des politesses que de se battre pour un ouvrage qu’ils ne liront sûrement jamais.

 

 

La garantie d’être bien compris n’existe pas.

 

Malgré l’attention et les interrogations que suscite l’habillage scénique à lui seul, difficile de résister à l’envie de participer au spectacle. Peu résiste à l’envie de tripoter son clavier pour répondre au monologue du père. Pourtant, ce dernier semble poursuivre son jeu sans se soucier vraiment de ce qui défile dans son dos, ne rebondissant sur les messages qu’à deux ou trois reprises. Visiblement, ces derniers servent plus à amuser le public qu’à nourrir le spectacle. Surtout quand l’acteur parle d’ennui. L’ennui « qu’on ne tue pas mais qu’on cherche à faire passer ». Evidemment, lorsqu’on met son public au défi, celui là ne manque pas d’imagination: « faire l’amour », « jouer à candy crush »,… les réponses défilent.

En même temps, le public montre comment combattre l’ennui d’un spectacle : le commenter en direct. On oublierait presque le père qui nous perd dans son souvenir d’enfance mêlant les canards d’un étang qui finissent dans l’assiette avec les poneys exploités par un photographe, et ses parents - dont il se moque ouvertement - avec la société consumériste.

Si on parvient à garder l’attention, on comprend la colère du père et les critiques que soulève Garcia, appuyées par la mise en scène de Christophe Greilsammer : l’échafaudage que Xavier Brossard se met soudain à escalader symboliserait le monde à construire ou encore, l’activité professionnelle qui permet de « gagner sa vie ». Une expression similaire à celle dont le protagoniste vient de souligner l’incongruité : comme on ne peut pas « tuer » l’ennui, on ne peut pas « gagner » sa vie mais seulement le droit d’en profiter...

Le ton est criard, le spectacle violent et la conclusion peu rassurante. Les décors et les acteurs commotionnent à travers leur sens métaphoriques et leur réalisme temporel. L’univers et le contexte sont familiers : on est pris dans cet espace clos qui finalement pourrait bien représenter notre propre maison, dans laquelle on s’enferme. L’ensemble est simplement représentatif de notre époque. Aux questions qu’il soulève, Garcia n’affirme aucune réponse mais se contente d’énoncer des solutions que « personne ne peut envisager sérieusement ». Christophe Greilsammer, lui, nous invite à interagir pour finalement laisser comprendre que même sans utiliser son portable, le spectateur est déjà placé au cÅ“ur du spectacle. 

 

Quand à ceux qui n’auront rien compris, trop concentrés à pianoter sur leur clavier et s’impatienter de voir défiler leur répliques plus ou moins pertinentes, ils seront finalement l’illustration flagrante de la société de surconsommation : il t’est permis d’utiliser ton portable dans un contexte où celui-ci est généralement interdit et sans tarder, tu en abuses, cherchant à profiter un maximum de cette «offre exceptionnelle». Pourtant, il s’agissait à l’entrée de profiter d’un spectacle…Alors à quoi ça sert « tout ça » et que reste-t-il encore réellement à consommer ?

 

Laurie Wendenbaum

Quoi qu’il en soit, tu n’y échapperas pas

Je crois que vous m’avez mal compris

d’après le texte de Rodrigo Garcia.

Mis en scène par Christophe Greilsammer, Cie Flash Marionnettes, Théâtre TAPS Scala à Strasbourg

 

 

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